les aventures du quotidien [Trishka]

La fin de la journée de cours était venue avec une relative délivrance. Les sciences n'étaient pas le fort de Dylan, elle était plus une rêveuse que quelqu'un avec les pieds sur terre. Elle était du genre à carrément rester des heures les yeux perdus dans le reflet de la vitre à côté d'elle. Si la plus part des gens ne voyaient pas grand chose dans ces reflets de vitre, la jeune fille en revanche, y voyait beaucoup plus. Des scintillements, des mouvements, des fois il lui semblait apercevoir des silhouettes qui n'étaient pas vraiment là. L’idée d'en parler à quelqu'un ne lui avait jamais traversé l'esprit. Elle était déjà assez considérée comme une folle comme ça, mieux valait ne pas en rajouter. Et puis qui la croirait ? Elle ne pouvait pas vraiment maîtriser ce don et il ne servait pas à grand chose de toute manière. Elle ne gagnerait qu'à se retrouver sur une table froide avec des aiguilles dans le corps et un médecin entrain de lui faire faire des tests douloureux. Non, mille fois non, elle ne le dirait pas.

A la sonnerie, son corps s'était porté, tout seul, vers la porte, écoutant d'une oreille distraite les consignes du professeur. Elle allait aller en ville pour prendre encore des photos. Oui, "encore". Plus tôt dans la journée, avant d'aller en cours, elle avait vagabondé dans les alentours et avait prit quelques clichés. Cette après-midi elle voulait aller en haut d'un immeuble de bureaux pour mieux observer la ville. Etre en hauteur était toujours un avantage qu'on on voulait traquer tous les phénomènes étranges de Gotham. Ils n'étaient pas vraiment étranges dans le sens impossible, mais plutôt dans le sens : hors de l'ordinaire. Un braquage de bijouterie simple, elle s'en foutait. Mais quand des mots clés tel que Joker ou Catwoman apparaissaient, déjà, c'était plus intéressant. Elle avait toujours son appareil photo, vieux, dont un morceau de plastique s'était décroché du côté... Il ne donnait pas envie en bref. Mais les clichés étaient potables, c'était tout ce qui comptait. Au moins, avec cette apparence, personne ne voudrait le lui voler. Même un antiquaire n'en voudrait pas (c'était d'ailleurs dans un fourre-tout qu'elle l'avait trouvé, l'homme voulait le jeter simplement mais il avait quand même fait payer $10 pour récupérer la vieillerie ; un coup entre les mains de son père et l'objet remarchait.).

Elle se dirigea vers le monorail, regardant les clichés pris sur l'écran à moitié floué de l'appareil. On y voyait en grande ligne ce qu'il y avait, mais pour la haute résolution, il faudrait repasser plus tard : quand elle aurait plus d'argent. Elle était rentrée dans la rame et, toujours la tête baissée, elle observa ses clichés. Sa petite taille lui permettait de se glisser n'importe où, ainsi elle se faufila jusqu'à l'arrière de la section où elle était et s'accrocha à une barre, l'autre main appuyant sur les boutons pour regarder. Elle avait repérer des ombres sur un immeuble mais ça ne devait être que... Des ombres en fait. Elle sortit à sa station, vers le centre ville, et alors qu'elle avait toujours la tête baissée, quelqu'un la bouscula violemment, apparemment aussi occupé par son journal que elle par son appareil. Elle tomba à terre sans que la personne ne le remarque et l'appareil photo tomba et roula sur quelques mètres. « Merde ! »

La journée, je n'avais pas beaucoup d'occupations. Je me levais vers midi, toujours, et je commençais alors un rituel quotidien à base d'exercice physique avant de déjeuner. Je faisais quelques entraînements aux arts martiaux japonnais, pour ne pas oublier ce qu'on m'avait appris dans mon enfance, puis je m'exerçais à quelques lancés de couteaux. J'en avais besoin, j'avais ça dans le sang. Cela me permettait de commencer la journée sereinement, l'esprit libre et prêt à affronter le quotidien ennuyeux d'une personne lambda. Après déjeuner, souvent je sortais en ville pour faire quelques achats de choses qui ne me serviraient à rien, ou pour m'aérer les idées avant d'aller travailler au club. J'étais serveuse et je jouais aussi les putains quand il manquait une fille au Cheetah Room. Je n'avais pas besoin d'argent, j'avais ce qu'il fallait pour vivre dix belles et confortables années sans travailler, mais un travail était le seul moyen de s'intégrer. Je n'étais pas à Gotham depuis assez longtemps pour me payer le luxe de jouer les marginales.

L'après-midi touchait à sa fin. J'avais acheté quelques tenues dans une boutique du centre ville, dont une veste en cuir au col en fausse fourrure, qui était trop petite pour moi. Mais je l'aimais alors sans vraiment m'en rendre compte, j'étais passée à la caisse pour la payer. C'était un caprice, comme beaucoup des choses que j'achetais. Je n'étais pas une acheteuse compulsive, mais il s'en fallait de peu que je le devienne. Après tout, si cela faisait passer le temps... Pour m'ôter quelque once d'égoïsme de la conscience, je me rétorquais à moi-même qu'au moins je faisais marcher l'économie des boutiques de fringues de Gotham.

En sortant du métro, à une station prise au hasard sur le plan, comme j'aimais le faire parce que c'était un très bon moyen de découvrir la ville, je grimaçais. La rue dans laquelle je me trouvais était pleine de boutique ! J'allais y passer toute la soirée si je me lançais dans leur découverte. Le bon point de cette situation, c'est qu'à présent je savais quoi faire demain. Revenir. J'allais retrouver le métro pour rentrer chez moi avant de céder à la tentation de commencer mon exploration immédiatement, quand je vis un homme derrière son journal, bousculer une adolescente d'une quinzaine d'année, le nez plongée dans le mécanisme de son appareil photo. La jeune fille tomba et l'homme ne s'arrêta même pas pour l'aider à se relever. Heureuse de voir un peu d'action, je me plantais aussitôt devant l'homme.

Bonjour gentlemen. Je me présente, Aleria Stewart, journaliste. J'enquête actuellement sur le ressenti de la population de Gotham à propos de la montée de l'incivilité en ville. Répondrez-vous à une ou deux questions pour m'aider à finir mon article ?

Je lui lançais mon regard le plus charmeur et l'homme bafouilla un "oui" timide. Il avait rougit comme un collégien devant une lycéenne.

Merci gentlemen. Pour commencer, pensez-vous que l'impolitesse ait augmentée récemment dans la rue ?

Euh... non...

Pourtant il me semble que bousculer les gens sans même se retourner pour voir si on ne leur a pas fait mal, n'est guère poli. Rétorquais-je

Suivant mon regard posé sur la jeune fille toujours à terre, l'homme s'empourpra encore un peu plus, comprit que je me moquais de lui et s'en alla à grand pas après avoir balbutié des excuses.

Idiota...baragouinais-je en espagnol, me dirigeant vers l'adolescente.

J'attrapais l'appareil photo qui gisait sur le trottoir et le lui tendit avec un sourire. Tout cela était tellement normal ! Tellement banal ! J'avais désespérément besoin de me sentir comme n'importe quelle jeune femme dans cette ville. Je voulais laisser mon passé derrière moi, à tout prix. Et quel prix ! J'étais bien certaine qu'il serait élevé...

Tu as besoin d'aide pour te relever ? demandais-je gentiment.

Alors qu'elle était entrain de se rebrailler normalement, et regarder si ses mains ne s'étaient pas blessées dans le processus, elle entendit le monorail partir derrière elle, la bousculant de rafales de vent accompagnant le mouvement de la machinerie. Le bruit de la station ne lui fit d'abord pas entendre qu'une personne s'était adressée à l'homme qui l'avait bousculé mais la conversation s'éleva alors que le ronflement du rail s'atténuait. Dylan leva la tête et vit une femme assez grande, mince, à l'allure de mannequin parler à un homme dont la face semblait se décomposer en une mine honteuse au fur et à mesure qu'elle parlait. Enfin, leurs regards se posa sur la jeune fille qui fronça les sourcils. Elle ne savait pas trop quoi faire, s'esquiver silencieusement ou se joindre à la conversation... Dans cette ville c'était rarement sur de trop se faire remarquer même si elle était abonnée aux situations intrusives personnellement. L'homme balbutia des excuses à la grande femme et alors que celle-ci ramassa l'appareil photo de Dylan, cette dernière commença à se relever. La dame s'inquiéta de son état, mais, secouant la main, l'adolescente balaya les inquiétudes « Nan nan c'est bon, ça va, j'ai connu pire ! » Si les gens inattentifs pouvaient faire des dégâts, les jeunes en bande au lycée pouvaient faire dix fois pire en fait.

Elle se redressa, son pantalon en jean qui n'était déjà pas de la dernière mode qui montrait des signes d'usure au niveau des genoux, n'avait finalement pas l'air d'avoir été malmené. S'essuyant les mains sur son pantalon, elle continua. « Ha et merci pour ça, mais vous savez je suis pas une enfant hein, et puis je suis habituée. » Il n'y avait rien de pire que se sentir adulte et capable de tout et pourtant se faire défendre face à un liseur de journaux. Elle était tellement habituée à être transparente à longueur de temps qu'elle ne savait même pas quoi dire à son héroïne du jour. Pas très au fait des interactions sociales qu'on avait généralement dans ces cas là, elle reprit son appareil photo en souriant. « Merci... Il a pas l'air trop cassé. » Elle l'examina et à part une énième fissure en plus sur l'écran, rien n'était à déploré. Il s'allumait et marchait comme d'habitude. « C'est pas courant les gens comme ça n'empêche, vous êtes pas de Gotham, si ? » Les gens de Gotham étaient souvent indifférents, marchaient avec des oeillères invisibles sur le visage et ne se retournaient que quand il y avait des braquages, des attaques de grande envergure ou une personnalité dans la rue. Une gamine comme elle, on ne la voyait pas tout simplement. D'une part c'était avantageux : elle pouvait fouiner sans trop éveiller les soupçons, même si sa présence dans certains lieux était suspecte : elle avait la tête joviale de l'innocence en pleine éclosion, elle était un petit ange qui ne faisait jamais de bêtise, vrai de vrai !

La dame avait en tout cas une beauté tendue et froide, elle n'avait pas l'air américaine et elle avait cru sentir un faible accent dans sa voix. De plus, elle avait lancé un mot étrangé juste avant de se diriger vers elle. Ca alors ! Quel détective... Non, en fait, c'était nul. Mais les étrangers n'étaient pas si rares que ça à Gotham étant donné qu'il y avait beaucoup d'endroits intéressants. La pauvreté aussi, attirait des catégories d'immigrés qui n'avaient pas eu le choix de se retrouver dans cette fosse à purin, mais ça, Dylan essayait de ne pas le voir.

J'avoue, j'ignorais comment réagir face à cette jeune fille. Elle me semblait très jeune, mais pas naïve. Peut-être un peu méfiante, comme devait l'être n'importe quel adolescent. Je ne sais pas, je n'avais pas vraiment eu l'occasion d'être une adolescente normale. En tous cas, et fort heureusement, elle ne semblait pas s'être fait mal. Son pantalon était troué aux genoux, mais cela ne datait pas de sa récente chute, j'étais prête à le jurer. J'avais suffisament passé de temps dans les magasins de vêtements et les bas-fonds des pires villes d'Europe de l'Est, pour identifier ça. Son appareil photo était cassé au niveau de l'écran, mais la jeune fille n'en paru pas étonnée outre mesure. Du coup, je devinais là aussi que cela ne datait pas d'aujourd'hui. J'en laissais là mes déduction sur elle, constatant à ses paroles qu'elle aussi avait déduit pas mal de choses de mon attitude.

Un problème se posait alors à moi. La nouvelle personne, honnête et droite, que je voulais devenir, ne devait pas mentir aux gens qu'elle rencontrait. Or, je ne pouvais pas dire à cette fille que j'étais russe, alors que je venais à l'instant de parler espagnol. L'avait-elle entendu ? Si oui, cela lui aurait paru étrange. Elle me donnait l'impression d'être une jeune fille un peu solitaire, mais extrêmement curieuse de tout. Pour mon bien, tout comme pour le sien, mieux valait qu'elle ne se pose pas trop de questions sur moi, et qu'elle n'en pose pas à n'importe qui.

Non, je suis arrivée du Mexique il y a quelques semaines. Je m'intègre à peine à la ville. lui souriais-je aussi aimablement possible

J'avoue, j'ai un peu de mal à m'adapter à Gotham. C'est... étrange ici. Sans vouloir te vexer. Il m'est arrivé de voir plus accueillant comme ville.

Et j'ai également vu bien pire ! Mais mieux valait ne pas trop en dire. J'ignorais tout de cette enfant, après tout. Son regard pétillait d'intelligence, je préférais ne pas prendre trop de risques. Je ne savais pas si la mafia russe, mon père en l'occurence, avait fait une croix définitive sur mon existence, ou si j'étais débarrassée d'eux. Il y avait aussi quelques zones d'ombres dans mon passé, que je préférais ne pas évoquer avec quiconque. Tout n'avait pas été rose dans ma vie, et j'avais bien quelques vieux ennemis par-ci par-là. Plus nombreux, hélas, que mes alliés. Je le crains. Et ma décision d'abandonner toute activité criminelle ne m'attirerait pas leur pardon.

Tu vas aller faire réparer ton appareil photo ? Il m'en faudrait un, est-ce que tu pourrais me conseiller un modèle ? Et tant qu'à faire, un magasin aussi. Je suis encore un peu perdue ici.

Mensonge ! Je n'avais nul besoin d'un nouveau gadget de plus pour ma collection. Mais étrangement, je n'avais pas envie de finir mon après-midi seule. Et puis, je venais de songer que la veste en cuir dans mon sac, qui avait encore son étiquette, irait bien mieux à cette fille qu'à moi. Je ne pouvais pas décrire ce que je ressentais, mais une petite part de moi avait envie de s'occuper de quelqu'un. Ce besoin ne datait pas d'aujourd'hui. Je l'avais, je crois, depuis ce jour où j'avais appris que j'étais enceinte, quelques minutes avant qu'un médecin ne me dise que j'avais perdu le bébé. Je n'avais jamais confié cela à personne, et je ne serais pas prête à le faire avant bien longtemps.

La femme lui expliqua être arrivée du Mexique il y a quelques temps et qu'elle s'intégrait à peine à la ville. Elle lui sourit avant de rajouter que l'ambiance de Gotham n'était pas très chaleureuse. En même temps, tous les centres villes du monde semblaient emprunt de cette indifférence collective face à un peu tout. Comme si, dès lors qu'on arrivait dans une forte densité de population les sentiments face aux autres êtres humains se fanaient pour laisser place à une sorte de flemme de tout. Ainsi, on se bousculait sans s'excuser, on tomber par terre sans que personne ne dise rien ou ne nous aide... C'était devenu un tableau relativement courant et propice au développement des petits délits du quotidien. Plus on s'enfonçait dans les ruelles sombres de la ville, que les gens essayaient de cacher un maximum, on se rendait compte que de petits délits on allait vers les crimes les plus atroces. Une sorte d'impunité générale régnait dans certains quartiers et si Dylan était relativement sans peur, elle hésitait certaines fois à franchir les rues de certains arrondissements. Elle hocha la tête, assez d'accord avec elle. Après tout, quand elle était arrivée là il y a quelques années, elle avait pensé la même chose. Pourtant sa ville n'était pas aussi différente que celle-ci à part peut être la taille et la célébrité. Mais la crasse avait cette capacité de faire s'adapter les gens. Quand on avait connu le meilleur, finalement, même si les premiers temps à fréquenter la crasse paraissaient interminables, on s'y habituait. « Ouai, la politesse est pas la première qualité des habitants de Gotham, je peux le reconnaître. » Elle aussi d'ailleurs, succombait à cette indifférence et cette absence d'attention. Quand les clochards lui demandaient de l'argent, elle faisait semblant de n'avoir rien vu ni entendu. A force elle s'était fait ses raisons. Un autre tramway arriva à la station surélevée et balaya du même air gorgé des odeurs de la ville les deux filles. Du haut des passerelles de métal on pouvait voir s'étendre sous leurs pieds quelques rues remplies de mondes marchant du pas pressé du citadin qui sait où il va.

La dame lui demanda finalement si elle n'allait pas aller faire réparer son appareil photo et si elle pouvait lui conseiller un modèle ou un magasin vu qu'elle venait d'arriver. Dylan sourit. « Ca dépend ce que vous voulez faire avec. De l'art, du tourisme, du familial ou du paparazzi. Celui-là, il est numérique mais c'est un des premiers modèles et il a une option de prise rapide quand même. Mais bon, ça c'est mon père qui l'a mit. En fait mon père bricole des trucs donc j'ai pas à aller en boutique pour le réparer. » L'avantage d'avoir un père qui ne faisait que bricoler toute sa vie était assez évident et elle pouvait se permettre d'être moins soigneuse que la plus part des gens quant à son téléphone ou son appareil photo. « Du coup je vous conseille de repérer l'allée marchande à deux rues d'ici. Y a pas mal de magasins multimédia, je peux vous montrer si vous voulez... J'avais pas grand chose à faire de toute façon. » Non, à part prendre en photo des ombres. Après tout, ce n'était simplement pas son jour apparemment. Elle s'économiserait pour une autre fois.

L'adolescente semblait d'accord avec moi. Bon, ça ne commençait pas trop mal. Si elle m'avait tout de suite envoyée sur les roses, j'aurais pu aller me perdre toute seule dans les rues de la ville. Mais aujourd'hui, je n'avais pas spécialement envie d'être seule. Et puis elle m'intriguait. Je n'aurais pas su dire quoi, il y avait quelque chose que je ne pouvais nommer chez elle, qui me donnait envie d'en savoir davantage. Peut-être juste était-ce le fait que je n'avais pas eu l'occasion d'être adolescente... Je voulais voir ce que j'avais manqué, plaisir macabre de voir ce que j'aurais pu être, de rêver à ce que j'aurais pu devenir.

En fait, je n'ai jamais fais de photo.

C'était vrai. La première vérité de cette conversation ?

Donc je cherche un appareil photo pour... débutante. souriais-je

Je ne savais pas trop comment me comporter, à vrai dire. Je crois bien que je n'avais jamais adressé plus d'un seul mot à une ado de quinze ans, depuis que je n'en étais plus une. Et déjà à l'époque, je fréquentais davantage les personnages de sexe masculin. Ma propre adolescence avait été quelque peu "agitée".

Il y a une allée marchande pas loin, dis-tu ? Cela pourrait me plaire, la journée à part faire du shopping, je n'ai pas grand chose d'autre à faire.

Ce n'est qu'une fois que ces mots étaient sortis de ma bouche que je réalisais à quel point ma phrase était bizarre. J'allais passer pour quoi aux yeux de cette fille ? Je préférais ne pas imaginer ce que elle-même pouvait imaginer sur moi ! Une jeune femme habillée sexy qui fait des magasins toute la journée, l'image que je lui donnais n'étais guère reluisante. Une putain. Une fille entretenue par un vieillard bedonnant. Les hypothèses étaient nombreuses et aucun n'était très élogieuse. Je m'empressais de préciser :

Je suis serveuse dans un restaurant, en fait. Alors la journée je m'ennuie un peu. Je n'y pas grand chose, alors ne m'en veux pas, mais tu ne devrais pas être en cours à cette heure-ci ? m'étonnais-je

En fait, je n'en avais réellement aucune idée ! J'avais quitté les cours depuis bien longtemps, et je n'avais jamais été très assidue de toute façon. Mon éducation, je l'avais fais grâce à de nombreux voyages, en côtoyant des gens et des situations. Et je n'avais jamais fais de photos. Des photos de quoi ? De banques pillées ? De corps disloqués ? De fausse monnaie dans des sèches-linges ? Je n'allais pas faire un album souvenir de ces années-là, ça aurait fait très mauvais genre...

Pour une fois que quelqu'un s'intéressait à elle depuis qu'elle était arrivée en ville, elle n'allait pas cracher dessus. En fait elle s'arrangeait souvent pour ne pas trop se faire remarquer. Quelque chose lui avait dit qu'ici il valait mieux faire profil bas si on ne voulait pas se faire embêter. Bien sur, sa présence dans certains lieux attirait forcément les regards des passants, mais après tout, plus on avait l'air détendu du slip, et mieux ça passait. C'était une technique qu'elle avait apprit au club : faites comme si vous aviez totalement le droit d'être là et les gens ne se poseront presque pas de questions. Comme disait l'adage, plus c'est gros, mieux ça passe. Là, la dame n'était pas de Gotham, ce n'était pas étonnant : en effet, un habitant de la ville aurait certainement continué sa route ou du moins, se serait poussé pour éviter de piétiner la jeune fille. Cette dernière hocha la tête quand elle entendit la femme dire qu'elle n'avait jamais fais de photographie. Elle aurait très bien pu passer pour un mannequin avec sa dégaine, mais après tout ce n'était pas parce qu'on posait devant qu'on savait tenir un objectif. Elle lui annonça qu'elle cherchait du coup, un truc de débutant. Il ne fallait pas commencer trop compliqué avec ce genre de personnes. « Les polaroïds sont pas mal pour les débutants, y a pas de réglages à faire et la photographie sort tout de suite. Faut juste le recharger en papier et en vernis de temps en temps. » Quoi qu'on en dise, encore beaucoup de gens s'achetaient des polaroïds, rien que pour le folklore et puis les photos n'étaient pas d'une qualité inférieur si on savait bien cadré et qu'on avait la bonne lumière.

La dame, finalement, releva qu'une allée marchande se trouvait à proximité et lui révéla qu'à part parcourir les boutiques, elle n'avait rien à faire pour le moment. Hochant encore une fois la tête, Dylan ne sut pas vraiment quoi penser. Ca devait être une femme riche apparemment ou du moins, quelque qui avait de l'argent et du temps, ce que peu d'habitants du coin avaient. Elle ne ferait pas de remarques, de toute manière, elle savait quand même un peu se comporter. Elle n'était chiante qu'avec les gens qui l'insupportaient et pour le moment, cette femme était un peu sa sauveuse du jour. La dame lui expliqua finalement qu'elle était serveuse dans un restaurant et que du coup, ça lui donnait la plus grande partie de la journée de libre. Enfin, elle s'inquiéta de savoir si à cette heure-ci elle ne devait pas être en cours. « Nan nan, je viens d'en sortir là. Le jeudi je termine toujours à cette heure-ci. Au fait, je m'appelle Dylan, j'ai oublié de me présenter. Si vous voulez, je peux vous montrer un magasin qui peut vous vendre un bon polaroïd, il est pas très loin, à cinq minutes par là. » Elle montra du doigt la sortie Est de la station de monorail. La boutique était assez bien et faisait souvent des réductions et des promotions. Elle n'y avait jamais rien acheté, pas assez de sous, mais elle venait pas mal de fois lorgner les jolis appareils flamboyants dans la vitrine.

J'écoutais la jeune fille, Dylan, avec beaucoup d'attention. Je me souvenais d'une chose, à propos de mon adolescence, qui m'avait beaucoup fait souffrir : les adultes me trouvaient totalement indifférente. Hormis les amis de mon père, qui n'avaient pas le droit de m'approcher de peur de subir sa colère. J'étais déjà jolie à l'époque, et je faisais plus vieille que mon âge. Mon père était assez inquiet que je n'attire les regards de mauvaises personnes. Moi comme une idiote, je m'imaginais qu'il ne m'aimait pas, et que c'était pour cela qu'il m'écartait toujours de tout ce qu'il faisait. Alors je commettais des bêtises, je faisais n'importe quoi pour qu'il me remarque. Dylan ne semblait pas être le genre de fille à commettre des erreurs pour le plaisir, mais il me semblait que la prendre au sérieux était une marque de respect que je lui devais. Je lui parlais comme à une parfaite égale, alors qu'elle devait avoir une dizaine d'années moins que moi. Et cela paru marcher, puisqu'elle me proposa de m'accompagner. J'acceptais volontiers et la suivais, mes paquets dans les bras.

Tu peux m'appeler Trishka. lui souriais-je

Ce n'était pas la peine de lui donner un faux nom. Il y avait peu de chance que quiconque ait entendu parler de moi par ici. Et puis, j'étais davantage connue sous mon nom de... "scène" : Russian Sweety. C'était ce nom là qui apparaissait sur les avis de recherche placardés dans la moitié des bureaux de polices d'Europe de l'Est. Peut-être y étaient-ils encore aujourd'hui, j'étais presque assez curieuse pour aller vérifier, un de ces jours.

Nous nous dirigeâmes vers la galerie marchande. En chemin, j'avisais une vitrine d'une boutique de vêtements de luxe, qui me plu tout de suite beaucoup !

Oh Dylan, viens entrons-là ! On fait juste un tour rapide. m'exclamais-je

Je ne lui laissais pas le temps de réagir, l'attrapais par le bras et la poussais dans la boutique. C'était vraiment des vêtements de luxe, très chers. Une vendeuse apparut aussitôt que nous fûmes entrer. Elle détailla la tenue de Dylan, guère appropriée à ce genre de magasins, et afficha une grimace qui me vexa profondément. Je pris un ton supérieur et un accent anglais pour lui répondre, quand elle nous demanda d'un air pincé si elle pouvait nous aider.

Ma soeur a besoin d'une robe de soirée, nous sommes invitées la semaine prochaine à une soirée chez Janice. Janice Porter, bien sûr, la procureur. Nous arrivons tout juste de Londres.

Le principal lorsque l'on mentait, c'était d'avoir l'air convaincu par ce que l'on disait. Si on ne l'était pas, on n'avait aucune chance de convaincre quiconque. J'ajoutais, rapidement et sur un ton qui n'autorisais aucune discussion :

Il me faudrait des chaussures également, pour mettre avec une robe Yves St Laurent. Vous savez, le frenchy qui fait un malheur dans les défilés de Paris. Vous avez certainement une petite chose à me conseiller.

Avait-on entendu parler des couturiers français à Gotham City ? Ce n'était pas certain. Mais si la vendeuse n'avait jamais entendu ces noms, elle s'empresserait de faire comme si elle les entendait tous les jours pour ne pas passer pour la dernière des idiotes. Je n'avais pas du tout apprécier la manière dont elle avait regardé les vêtements usés de Dylan lorsque nous étions entrées, alors si j'avais une opportunité de mettre cette vendeuse mal à l'aise, je n'allais pas m'en priver.

La femme portait un prénom très russe ou du moins, de l'Europe de l'est. La jeune fille ne l'interrogea pas sur ses connaissances en espagnole qui l'avait plutôt orientée vers le sud des Etats-Unis et évita aussi de lui demander ce qu'elle faisait là exactement. Après tout, déjà les gens faisaient ce qu'ils voulaient et ils n'étaient pas obligés de raconter toute leur vie à n'importe qui ; et ensuite parce que Dylan n'eut pas vraiment le temps. Elle sourit et alors qu'elles se dirigeaient vers la galerie marchande, ils passèrent devant un magasin que la jeune fille ne remarqua même pas une seconde avant que Trishka ne s'exclame qu'il fallait rentrer dedans pour voir un petit coup. Grimaçant légèrement, Dylan fut entraînée par la femme dans la boutique qui sentait bon le jasmin et avait une allure bien trop aseptisée pour elle. Trop bien rangé, trop bien organisé, trop propre, simplement trop. Une vendeuse sortit de derrière une allée, comme cachée, dans l'attente d'une proie à mastiquer et dévisagea Dylan et son allure. Non, ce n'était pas le dernier Dolce et elle n'avait pas la tête de quelqu'un qui fait ses courses ici. Son père aimait l'utile et le facile en plus du pas cher, et ça tombait bien, elle y était habituée à présent.

A première vue, dans les rayons, rien ne lui plaisait. Elle avait une sorte d'aversion un peu radicale pour les motifs et les dessins et préférait les tons simples et unis. Elle favorisait toujours les jeans et encore plus les t-shirts à l'effigie des diverses choses qu'elle aimait. Trishka prit la parole alors que l'adolescente allait suggérer de partir au plus vite de ce trou à rat de luxe. La mannequin prit une voix élégante et raffinée en rajoutant un accent un peu snob à ses paroles. Elle lui expliqua que sa petite soeur avait besoin d'une robe pour le dîner chez Janice Porter et aussi des chaussures. Haussant les sourcils quelques secondes, Dylan se rendit soudain compte que celle qu'elle essayait de faire passer pour sa petite soeur, c'était elle... Affichant une mine étonnée et même un peu dégoûtée à l'idée de se faire habiller ici, elle ne sut pas trop quoi dire.

Elle n'osait pas ouvrir la bouche parce que elle, elle n'arrivait pas à faire cet accent anglais et qu'elle ne connaissait pas non plus les personnes dont ils parlaient comme Yves... La vendeuse les toisa une dernière fois avant de lancer un « Je vais voir ce que je peux faire. » Elle tourna les talons et disparue une fois de plus derrière les présentoirs. A peine était elle partie que Dylan s'adressa à Triska. « Qu'est ce que vous faites ? J'ai pas les moyens d'acheter une robe ici moi... Je suis même pas sure d'en avoir l'envie... » Elle tourna des yeux sceptique sur les nippes qui les entouraient. « Et puis l'autre bonne femme à l'air d'une peau de vache. Elle va bien gueuler quand elle saura qu'on va rien acheter... A moins que vous vouliez acheter quelque chose ? » Car bon, sans vouloir être insultante, Trishka ne semblait pas le genre à pouvoir s'acheter une nouvelle garde robe dans cette boutique...

Les paroles de Dylan auraient pu me froisser, me vexer un peu, mais au contraire cela m'amusa. Il existait encore des gens qui savaient vivre en toute simplicité et visiblement être heureux comme ça. Je les admirais, d'une certaine manière, parce que moi-même en étais parfaitement incapable ! J'avais grandi dans un cocon, que j'avais ensuite quitté pour les boutiques de luxe parisiennes. Je ne connaissais absolument pas la "normalité" et c'était ce que j'étais venue chercher au près de l'adolescente. Mais au lieu de la laisser me guider dans son monde à elle, j'avais trouvé plus sécurisant de la guider dans le mien. Ce n'était vraiment pas la bonne méthode si je voulais m'adapter.

Si quelque chose ici me plaisait, je l'achèterais. assurais-je

Ce n'était absolument pas une question d'argent, j'avais des réserves dans différentes banques. Puisqu'embêter les vendeuses des boutiques chics ne semblait pas amuser Dylan, je tournais les talons.

Viens, sortons d'ici alors...

Je me retournais pour adresser un petit signe de la main à la vendeuse "peau de vache" au moment où Dylan et moi sortîmes de la boutique de luxe. Je regardais autour de moi, réfléchissant à où nous allions aller maintenant, avant de réaliser qu'une fois de plus je ne me comportais pas du tout comme je le devais. Si je voulais changer... il fallait laisser le monde autour de moi me changer. Et non pas lutter contre.

Dylan ? Fais-moi voir la vie ici. S'il te plaît. Que font les gens lorsqu'ils sont dehors et qu'ils ont du temps à tuer ?

Moi, je surveillais les allées et venues des guichetiers de banques, ou de riches particuliers pour m'introduire chez eux lorsqu'ils étaient absents.

Que font les gens quand ils ont envie de s'amuser ?

Pour ma part, avant quand je voulais me détendre, je visitais des expositions d'oeuvres d'art comme on va faire un repérage avant les soldes : en me demandant lesquelles j'allais revenir chercher une fois le musée fermé au public. J'avais vraiment de mauvaises occupations autrefois. Et mes vieilles habitudes avaient réellement la vie très dure. Impossible de m'en défaire ! De plus, en avais-je véritablement envie ? Le monde de Dylan était-il... agréable ? J'espérais sincèrement qu'elle saurait m'en convaincre, je ne demandais qu'à le découvrir. Comme une personne normale que je n'avais jamais été, et que j'avais la curiosité de vouloir devenir.