Une banque. Un endroit impersonnel où bizarrement je me sentais chez moi. Quelle que soit la banque du monde dans laquelle où je me trouvais, et dieu sait que j'en ai visité beaucoup !, je trouvais toujours quelque chose, un détail seulement parfois, qui me rappelait un souvenir, une petite anecdote amusante. J'étais mariée, à l'époque où les banques n'avaient aucun secret pour moi. Je les pillais avec le sourire, et avec Andreï. Un élan de nostalgie me pris aux tripes, et au cœur, alors que je me mettais au bout d'une file d'attente interminable ! Deux guichetiers s'affairaient pour satisfaire la clientèle d'hommes d'affaires et de femmes du monde. Et moi, en jean usé et débardeur au décolleté vulgaire, un chewing-gum à la fraise mâchonne vulgairement à la bouche, je me sentais bien plus à l'aise que tous ces gens. Ils faisaient attention à leur allure, à leurs manières, moi je m'en moquais. Ici, je ne connaissais encore personne.

Faux. Un homme quelques pas devant moi se retourna, fit signe à sa femme qui entrait juste dans la banque. Puis il me vit et ses joues prirent une teinte pivoine. Il n'y avait rien de plus jouissif que de croiser dans la journée un habitué du Cheetah Room. L'homme n'avait certainement aucune envie que son épouse sache à quoi il occupait véritablement ses soirées, lorsqu'il prétextait une réunion tardive pour rentrer tard. J'adressais un sourire à l'homme, très mal à l'aise, mais j'avais trop de conscience professionnelle pour aller l'aborder. Cela ferait une mauvaise pub au club si les filles se permettaient de saluer les clients dans la journée. J'avais trouvé un boulot qui me plaisait, je n'allais pas tout saboter maintenant.

Les portes de la banque s'ouvrirent derrière moi. Au début je n'y fis pas du tout attention. Ce n'était pas étrange. Mais rapidement, j'avisais un homme à gauche, puis un homme à droite, qui semblaient tous les deux trop immobiles, trop méfiants, pour être honnêtes. Je me figeais. Ils regardaient partout, aussi discrètement que possible. Et surtout en direction des caméras de sécurité. Si on ne posait pas son regard sur ces hommes, on ne les remarquais pas vraiment. Moi, j'avais l'habitude de ce genre d'attitude. C'était celle qu'Andreï et moi adoptions avant d'attaquer une banque. Je me dirigeais stratégiquement vers la sortie, et j'allais l'atteindre au moment où un troisième homme entra, me bloquant la porte avec sa carrure imposante. Son arrivée était ce que les deux premiers hommes semblaient attendre. Ils sortirent chacun une arme à feu longue comme le bras, que je n'identifiais pas parce que j'avais horreur de ces armes-là, et se mirent à crier. Leur premier ordre fut pour les guichetiers : Pas bouger. Le second, pour la clientèle : Allongez-vous sur le sol.

Je poussais un juron. J'avais attaqué je ne sais combien de banques en Europe de l'Est, et là, j'allais me faire avoir. C'était bien le comble ! J'en rageais ! Le dernier homme à être entré m'attrapa brutalement par le bras pour me pousser vers les autres clients de la banque. Ces derniers étaient une douzaine. Trois braqueurs pour douze clients lambda, hommes et femmes dans la quarantaine, ou la cinquantaine, et deux guichetiers. Le responsable de la banque arriva escorté par un quatrième braqueur sorti de je-ne-sais-où. Je devais être la plus jeune cliente. Le braqueur indélicat me poussa à terre. Je tombais les deux mains en avant, m'écrasant les genoux sur le sol dur. Je ne sentis pas la douleur tant j'étais en colère de m'être fait avoir comme une vulgaire débutante. Je me retrouvais à côté d'un jeune homme, qui ne devait pas être beaucoup plus vieux que moi. Je lui adressais un pâle regard. J'étais furieuse ! Sacrément furieuse d'être traitée aussi mal. Ces hommes étaient des incapables. Quatre Dalton incompétents. Et ils m'avaient eus.

Le pire, c'est que sans ces armes à feu, j'aurais pu me battre contre ces hommes. S'ils n'avaient pas trop de talent au corps à corps, à quatre contre une c'était largement faisable. De plus, j'avais un couteau-papillon dans mon sac, et une lame fine, semblable à un scalpel et idéale contre une gorge, dans un étui à l'intérieur de ma botte. S'ils posaient leurs armes... j'aurais réagi. Mais là... ce n'était pas envisageable. Surtout que les clients semblaient tous tremblants comme des feuilles. Sauf le jeune homme, mon voisin de sol. Lui pourrait peut-être m'aider, me soutenir si je tentais quelque chose, cependant nous ne pouvions pour le moment pas parler pour coordonner une action de défense. Et les guichetiers semblaient tout aussi terrifiés que la clientèle en costard ou talons hauts.