Je n'étais pas inquiète.

Je ne suis jamais inquiète. Ce n'est pas dans mon tempérament. Je suis angoissée à l'idée de perdre le contrôle de ma propre existence, et je ne supporte pas que l'on se sente le droit de prendre des décisions à ma place, mais l'inquiétude n'a guère fait partie de mon existence. A quoi bon ? Cela ne servait à rien, strictement à rien. Pourtant, je devais bien avouer qu'en allant voir Sasha ce jour-là, je n'étais pas vraiment dans mon assiette. C'était pourtant ce que j'avais de plus proche comme amie, à Gotham City, je n'aurais donc pas dû être aussi inquiète.  J'avais pourtant un très mauvais pressentiment à propos de toute cette histoire. Sasha et moi, nous ne nous connaissions que depuis trois semaines. Ce n'était pas beaucoup. J'étais arrivée à Gotham à peine il y a un mois. Néanmoins, quand elle m'avait appelé, j'avais senti quelque chose d'inhabituel dans sa voix. Quelque chose qui n'était pas normal. Elle semblait soucieuse, et ça ne semblait pas être le genre de fille à garder des soucis bien longtemps. Comme moi, elle avait sacrément du répondant.

Moi aussi j'avais à lui parler. Je n'avais pratiquement jamais évoqué mon passé avec elle. Elle savait pour mes voyages à travers le monde, elle savait que j'avais du mal à construire une relation stable avec un homme, et elle savait également que j'étais en froid avec ma famille. C'était déjà beaucoup, mais pas tant que cela... Je ne lui avais pas trop parlé de mon métier, elle devait se douter que je n'étais pas seulement serveuse, comment aurais-je pu me payer des tenues hors-de-prix sinon ? Mais ce n'était pas sur ces sujets que je voulais me confier, c'était sur plus important. Mon ex-mari était en ville, et je n'étais pas très au clair à propos de mes sentiments à son égard. J'avais besoin de l'avis d'une amie, et Sasha était la seule à tenir ce rôle actuellement dans ma vie. Elle avait dix ans d'expérience de plus que moi, en la matière. J'avais réellement besoin d'aide, et pour une fois j'étais prête à la demander.

Nous avions pour habitude de nous retrouver dans un petit restaurant au cœur d'un quartier tranquille de Gotham. Et dieu sait qu'il n'y en avait pas beaucoup ! Le patron et quelques serveurs commençaient à nous connaître, il faut dire que nous passions rarement inaperçues. Jolies toutes les deux, et assez mal assorties, on devait sans doute nous prendre pour des sœurs. Et pas autre chose, en tous cas je l'espérais. J'arrivais la première et allais m'asseoir notre table habituelle, au fond de la salle. Un serveur, Brandon, s'approcha aussitôt. Il était plutôt séduisant, c'était dur de ne pas le remarquer, et toujours d'une indiscrétion folle. Cette curiosité bizarrement ne me dérangeait pas, et était même souvent utile. De tout temps il avait une histoire à raconter, ou quelques potins à partager. Il était rarement mal informé sur ce qui se passait en ville.

Vous êtes seule ce soir, mademoiselle Parker ? s'étonna-t-il

Non, juste en avance. lui répondis-je avec un sourire

Oh ! Alors je vous apporte votre apéritif habituel, ainsi que celui de mademoiselle Velvet?

Oui, merci. Elle ne devrait pas tarder.

Je la vis entrer dans le restaurant quelques secondes après que Brandon ait apporté nos consommations. Je fis signe à Sasha, qui me vit de loin. Elle s'approcha, je sentis mon cœur battre plus vite, comme s'il appréhendait quelque chose. Etait-ce d'avoir pris la décision de lui parler un peu plus de mon passé, et notamment de mon passé avec le seul homme que j'eus jamais aimé vraiment, qui me mettait dans cet état ? Ou l'air un peu distant et préoccupé que je voyais sur le visage de mon amie?

Que dire ? Mes lèvres étaient scellées par la surprise. Je n’avais pu retenir un choc lorsque j’étais tombée sur cette photo, mais surtout, sur ces informations. J’avais beau fixer la silhouette qui apparaissait sur mon écran, la scruter, en vain. La silhouette gardait la même forme. Par prudence, d’un clique, j’avais fermé le site privé du FBI puis l’avais rouvert. Là encore, aucun changement. Elle était là, le profil sérieux, avec un air énigmatique qui voilait son visage. J’avais alors dégluti, troublée par cette révélation. Comment ne pas l’être ? Apprendre qu’une bonne amie à vous, que vous croyez simple et innocente, était en réalité une tueuse à gages et une chasseuse de primes recherchée dans les pays de l’Est ? Certes, je m’étais déjà prise des gifles en plein visage en subissant de telles situations, mais j’en avais oublié la violence de la baffe. Mes lèvres se retroussèrent en un pâle rictus alors que j’éteignais mon pc portable. Il allait falloir que je trouve des réponses et ce, à la source même ! Peut-être que Trishka et moi allions être en froid après cette future discussion, mais je ne pouvais laisser ces révélations mijotées dans mon cerveau, jusqu’à m’en rendre folle. De nature directe et franche, je n’aimais pas laisser planer le suspense sur une relation que je jugeai sincère. Aussi sortis-je mon cellulaire tactile, fit dérouler la liste de contact du bout de mon pouce pour arriver jusqu’à ‘Trishka Parker’. Appuyant sur le sigle ‘téléphoner’, je collai mon Nokia contre mon oreille et lorsque ma chère amie décrocha, je lui donnai rendez vous au restaurant habituel dans deux heures. Malgré toute ma contenance, je n’avais pu aborder une voix sereine et lorsque je raccrochai mon cellulaire pour le ranger dans mon sac à bandoulière, je sentis une once d’inquiétude glisser dans mon échine. J’espérai sincèrement pouvoir obtenir des réponses claires de la part de Trishka, sans la voir s’enfuir comme un lapin en cavale devant mes questions indiscrètes.

*Bon, je crois qu’il vaut mieux que je me change* Sortir dehors en tenue de Jogging, à moins d’aller faire son petit sport de la journée, ce n’était franchement pas l’idéal. Certains aiment bien, mais j’avoue que je préférai les tenues un peu plus ‘quotidiennes’. Aussi, après l’étape de la bonne douche froide pour me revigorer, je me rendis dans la chambre pour me vêtir d’un jeans collant noir, d’un sous pull fin blanc et lorsque l’heure du rendez vous approcha, je me munis d’une veste en cuir brune, de mes chaussures noires à talons et de mon sac à bandoulière avant de prendre la porte de sortie. En débouchant sur le trottoir qui bordait l’immeuble, j’aspirai une goulée d’air frais avant de me mettre en route pour rejoindre la zone du ‘Old Gotham’. C’est dans ce quartier que moi et Trishka allions discuter de tout et de rien autour d’un apéritif. Trishka…J’avoue que depuis mon arrivée à Gotham, je ne me suis jamais liée aussi vite d’amitié avec une autre personne, surtout une fille aussi jeune. Il faut quand même se dire que dix années nous sépare et pourtant, cette différence d’âge ne semble pas entraver la complicité candide qui nous unissait depuis ces trois semaines.

Après quinze minutes de marche dans le dédale des ruelles de la ville, je finis par déboucher dans l’avenue du Old Gotham, quartier paisible où la foule se portait souvent absente, à mon contentement. Bien que les lieux follement encombrés par la foule me permettait de me fondre aisément dans la masse, je préférai largement les endroits calmes, en retrait, où je pouvais escompter entendre le cours de mes pensées. En arrivant devant le restaurant habituel, je ne pus réprimer un frisson inquiet. Nous y voilà. Durant la promenade, j’avais quasiment oublié les raisons qui m’amenaient ici, mais maintenant que je me trouvai à quelques pas de l’interrogatoire, j’eus difficile à faire un pas dans le restaurant. Pourtant, c’est ce que je parvins à accomplir après 3 secondes d’hésitation. Me faufilant avec fluidité entre les tables, je rejoignis celle où était attablée ma chère amie. Elle m’aperçut bien avant que je n’arrive devant elle et un seul regard suffit à me faire penser qu’elle était dans un même état de nervosité. Avait-elle ressentie mon inquiétude ? Au passage, je saluai un serveur que je connaissais bien puis partis m'installer à la table où Trishka se trouvait, non sans oublier de lui faire la bise au préalable. « Salut Trish’, merci d’avoir put te libérer » Ma veste partit rejoindre le dossier de la chaise. En vue de la chaleur qui régnait dehors, je craignis de n’avoir trop chaud. Bref, enfin prête à entamer la discussion avec Trishka, je ne parvins pas à soulever ce sourire naturel qui m’étais si habituel d’ordinaire. Un détail qui allait sûrement faire tiquer mon amie, mais je ne pouvais jouer la comédie lorsque des révélations aussi graves venaient perturber notre amitié. « Je voulais te… » Mais je fus coupée par l’arrivée du serveur qui déposa sur la table les deux commandes. « Merci Brandon » Le bel homme sourit et repartit vers d’autres tables. Devant moi s’élevait des nappes de fumée subtile depuis la théière qui devait contenir le thé au morocco brûlant. Mais la délicieuse odeur du thé fumant ne parvient pas à apaiser le trouble qui m’assaillait, aussi décidai-je d’entamer le vif du sujet. « Je t’ai appelé parce que tout à l’heure, dans les bureaux de la police, pendant que j’ai réparé un ordinateur… » Ce qui était bien sûr un mensonge puisque je l’avais découvert sur mon propre pc, dans ma base de données, mais Trishka ne devait pas savoir que j’étais agent du département de la sécurité intérieure… « Et pendant la mise à jour, il y a eu un bug et je suis tombée sur le site privé du FBI….et j’ai vu ton dossier… » Pas un ‘j’ai vu un dossier qui faisait mention de toi’, non, je venais de trancher directe sans laisser placer aux doutes. Comment allait-elle réagir? En moi flottait le doute et l'inquiétude de voir une amitié se fragmenter violemment.

La jeune femme s'assit et on nous apporta nos commandes. Je ne touchais pas à la mienne, j'avais la gorge un peu trop nouée pour cela. Je n'avais pas peur. Jamais je n'avouerais avoir eu peur à ce moment-là, de ce qu'elle allait me dire.

C'est normal, ça avait l'air important. répondis-je lorsqu'elle me remercia d'avoir pu répondre favorablement à son invitation.

Sasha ne chercha pas à tourner autour du pot pendant des heures. Sa franchise m'avait toujours plu chez elle, mais ce soir, j'avoue que je l'appréciais encore plus. Je ne voulais pas d'hypocrisie, pas de faux semblants, pas de "tu vas bien ?" et autres mondanités d'usage lorsque l'on retrouve quelqu'un à une soirée. Je voulais juste qu'elle aille droit au but et qu'on en ait terminé le plus rapidement possible. Ce qu'elle fit. Visiblement, elle souhaitait la même chose que moi.

Mon dossier... répétais-je d'une voix blanche

Je ne m'attendais pas à une chose de ce genre. Je me doutais bien, au fond, qu'elle avait dû découvrir quelque chose sur mon passé, mais il y avait une différence entre découvrir quelques détails, et découvrir la totalité de ce que j'avais pu faire... Je me mordis la lèvre et coinçais mes mains sous mes cuisses. Il y avait un couteau dans ma botte. Je préférais ne pas avoir à m'en servir. Et surtout pas sur Sasha. Encore moins au milieu du restaurant. J'en avais assez d'être une fugitive. Je me plaisais à Gotham, je commençais à y trouver un équilibre, je ne voulais pas m'en aller. Sasha me laisserait-elle une chance ? Je lisais dans son regard que oui. Elle me laisserait une chance, une toute petite. Je devais la saisir. Je n'avais pas le choix si je voulais sauver ce que j'avais commencé à construire ici.

Tu as vu... mes chasses, au Chili, au Mexique, au Brésil ? C'était des anciens nazis tu sais, ils avaient commis des horreurs...

Mais je n'avais pas chassé que ça.

Il y avait des fugitifs en cavale aussi... et des... d'autres gens pas très honnêtes.

C'était vrai. Ces trois dernières années, j'avais éliminé une vingtaine de personnes, et aucune n'avait vraiment la conscience tranquille. Est-ce que ça avait été une tentative pour me racheter après avoir passé des années à écumer les bijouteries, les banques et les riches particuliers d'Europe de l'Est avec mon mari, Andreï ? Oui, sûrement. Une tentative un peu désespérée, je l'admet. Mariée à Andreï, mon seul amour, j'avais fais beaucoup de mal. Nous avions tué, volé, trahi, menti. Bon nombre de fois. Et c'était surtout cela que j'avais peur que l'on découvre. On étaient encore recherchés là-bas, en Ukraine, en Pologne, ... Et en Russie, mon père m'avait renié. Un parrain de la mafia russe... était-ce un élément qui figurait dans mon dossier ? J'en doutais. Mon père ne s'était jamais vanté de m'avoir pour fille. Aux dernières nouvelles, il disait que j'étais morte. Ma fuite éperdue avec Andreï lui avait déplu, c'était le moins qu'on puisse dire !

Je... j'ai fais d'autres choses aussi... mais on a tous un passé, Sasha. Je... j'étais jeune, j'étais...

Je n'avais pas le droit de dire que j'avais été naïve et qu'Andreï m'avait influencé. Je n'avais pas le droit de dire que j'avais agis contre mon gré. Parce que ce n'était pas la vérité. J'avais commis des horreurs en toute connaissance de cause.

Est-ce que... est-ce que tu as vu autre chose que mon passé de... chasseuse de prime en Amérique du Sud ?

Heureusement que je n'avais pas commencé à lui parler d'Andreï. Heureusement que je ne lui avais pas dis qu'il était ici. Me faire prendre était une chose, mais jamais je ne le trahirais. Aussi compliqué que cela puisse être entre nous, je tomberais seule, je ne l'entraînerais pas dans ma chute. Je lui devais cette loyauté là jusqu'au bout de l'éternité. A défaut d'avoir fait durer notre mariage dans la vie et jusqu'à ce que la mort nous sépare.

Anxieuse, j'attendais de voir si Sasha savait pour l'Europe de l'Est.

Sa réaction ne se fit pas attendre. Une réaction à laquelle je m’étais attendue depuis la découverte de son dossier, mais une réaction que j’avais aussi redoutée. Je ne pus que tordre mon sourire en un rictus discret, ne sachant comment réagir maintenant que je venais de faire éclater la sanglante vérité à sa figure. A présent, je devais en assumer les conséquences et tenter de trouver un chemin praticable à travers ce dédale de possibilités tortueuses. Il était de mon devoir de dissiper l’ambiance tendue qui avait brusquement éclatée à la table. Deux visages tordus par l’incertitude. L’un ne sachant comment réagir, hésitant, se croyant sur la balance fatale des dieux égyptiens, lorgnée sous leurs yeux malicieux. L’autre ne sachant comment adoucir la situation compliquée dans laquelle elle s’était fourrée. En tant que femme franche et sincère, tout du moins avec ceux qui je jugeais dignes de confiance, je ne pouvais laisser planer une face d’obscurité dans la relation que j’entretenais avec l’individu coupable de mes tracas. J’étais ainsi et je devais en assumer les douloureuses conséquences. Aussi, lorsque Trishka fit mention de ses quelques, non pas petits, mais grands délits, je me sentis obligée d’acquiescer. Puis elle tenta de trouver une douce issue à ses actes condamnables. En vain…et elle le comprit. Certes, beaucoup de ses crimes pourraient trouver pardon, mais il y en a d’autres qui demeurent impunis. Pourtant, ce n’était pas à moi d’appliquer la justice pour ce cas particulier, ou plutôt, je n’en ressentais pas l’envie. Quel individu souhaiterait voir un ami cher trépasser sous les crocs de la justice, si ce n’est un être malsain dépourvu de culpabilité ou de courage.

A mesure que le secondes s’écoulèrent, Trishka s’emmêlait les pinceaux, désespérée, se noyant toujours plus profondément dans le puits de la culpabilité. La voir ainsi, troublée plus que jamais, le visage fragmenté, peut-être, par les remords, me rendit nerveuse. Diable, je remarquai que je ne supportai pas la voir dans un tel état. En vérité, ce n’était pas mon tripe de mettre mes plus fidèles amis dans la gadoue, mais il arrive par moment qu’ils ne me laissent pas le choix. Aussitôt, l’histoire me fait passer pour la méchante, mais…c’est tout aussi difficile pour moi que pour eux.

« Je sais Trish’, nous commettons tous des erreurs…ce que j’espère, ce que j’aimerai clarifier, c’est que tout cela soit du passé…profondément enfoui dans les oubliettes. » Ma seule espérance était que l’autre brune avait cessé ses méfaits et aspirait à une vie sociable et juste. Mais j’avais déjà la réponse, du moins l’espérais-je, car pendant ces trois dernières semaines, j’ai été confrontée non pas à une chasseuse de primes, tueuses à gages, bandit à en tout genre, mais à une jeune femme pleine d’entrain, attachante et sociable, avec qui je me suis sentis bien. Ce dernier profil ne pouvait correspondre à une criminelle toujours en fonction. A moins que mon instinct n’ait incroyablement faibli, ce que je doute…« Ne crois pas que je veuille te causer des problèmes, je souhaite juste savoir si je puis te faire confiance comme je l’ai fait ces trois dernières semaines. Si tu me dis que tout ça était du passé, je te croirai… » J’étais surprise par mes propres paroles. A mesure que celles-ci coulaient naturellement hors de mes lèvres, je me rendis compte de la confiance presque aveugle que je livrai à Trishka. S’en était saisissant, moi l’agent si prudente et méfiante. Mes supérieurs m’auraient sûrement ri au nez, mais qu’importe.

« Je suis pas ton ennemie Trish’… »murmurai-je à vois basse, le regard empreint d’une sincérité ferme. Mais mon amie relança le sujet, souhaitant savoir si je savais d’autres choses à son sujet. Malheureusement oui, je ne pouvais le nier. Mon regard tomba sur ma tasse fumante, qui attendait impatiemment d’être vidée, mais je ne ressentais pas le plaisir de céder à son désir. Pas tout de suite. « Tes épopées dans l’Europe de l’Est…avec cet Andrei… » Son époux, lui aussi recherché par les services de l’ordre. Je déglutis en me demandant comment réagirait Trish’ devant tout ce dont j’avais eu connaissance, par une prétendue simple erreur de réparation mécanique. « J’ai eu dure à l’avaler au début…peut-être encore maintenant, car je n’aurai jamais imaginé qu’une femme aussi gentille et attachante que toi puisse refouler un passé aussi sanglant et tourmenté… » Nerveuse, je sentis un liquide chaud se répandre dans ma bouche. Mes dents s’étaient inclinées un peu trop profondément dans ma langue. « L'humain est tellement complexe et peut surprendre au jour le jour... »chuchotai-je plus à moi-même que pour Trishka. J'avais eu ma journée de surprise, à n'en point douter.

Je ne savais pas si j'étais rassurée par les paroles de Sasha, ou si au contraire elles me mettaient encore plus mal en point que je ne l'étais. Je l'avais profondément déçue, je le sentais. Elle ne se doutait pas que je puisse commettre de telles choses, elle n'avait jamais songé que j'avais pu être à ce point une personne... mauvaise. Aujourd'hui, j'espérais sincèrement ne plus l'être. Tout ce que je pensais être, c'était une personne profondément torturée par son passé, par ce qu'elle avait pu faire autrefois. Je voulais me racheter, à n'en pas douter, mais je ne regrettais pas un seul des instants passé. Je ne pouvais pas regretter ce qui m'avait apporté tellement de bonheur et d'amour à une époque de ma vie, même si cela faisait de mon existence un véritable enfer de remords et de culpabilité aujourd'hui.

Pardon Sasha...

Je baissais les yeux. C'était la première fois que je présentais mes excuses à quelqu'un, vis-à-vis de ce dont je m'étais rendue coupable.

Décevoir une amie telle que toi est la dernière des choses que... dont je... dont je croyais n'avoir jamais à m'inquiéter. Je n'ai jamais pensé rencontrer quelqu'un comme toi, je voulais mériter ton amitié, aussi récente soit-elle. Elle compte beaucoup pour moi.

Si je continuais dans ce sens, Sasha allait croire que je la flattais pour m'en sortir. Ce n'était pas le cas. J'espérais qu'elle ne doutait pas de moins au point de croire que je pourrais faire cela. Je n'étais pas une hypocrite. J'étais coupable de beaucoup de choses, mais pas d'hypocrisie. Pas envers elle. La blesser n'était pas mon but. La faire douter de l'espèce humaine non plus. Il y avait des pourris partout, mais il existait aussi des gens biens. J'avais toujours voulu le croire.

Ce qui s'est passé avec Andreï, je ne pourrais jamais l'oublier. Et je ne voudrais jamais l'oublier. Si j'oubliais un seul jour, alors cela voudrait dire que ce jour n'a pas eu d'importance. Que les gens que j'ai blessé ce jour-là n'avaient pas d'importance. Mais ils en avaient. Chacune des personnes que j'ai pu détruire, reviendra me juger un jour. Je le sais. Et quand viendra l'heure de mon jugement, je dois pouvoir leur dire que je me souviens avoir détruit leur vie. Je le leur dois.

Je respecte l'Homme. Je n'ai pas le droit de jouer l'indifférence. Ce que j'ai fais, ce serait irrespectueux pour mes victimes de l'oublier.

Je dois te demander pardon pour t'avoir fait douter de moi, Sasha. Je me bats chaque matin contre ma nature, et chaque soir en voyant que je ne lui ai pas cédé, j'ai l'impression d'avoir accompli une petite victoire. Je ne peux pas te promettre que mon passé est derrière moi, mais je peux te promettre que je fais tout ce qu'il est en mon pouvoir pour qu'il y reste.

Et cela veut dire que je dois à tous prix sortir Andreï de ma nouvelle existence ici.

Tu me crois Sasha ? Est-ce qu'un jour tu pourras me pardonner ?