Allongé dans un grand lit très confortable, la vie du jeune Caleb poursuivait son cours. Certes, il n’était jamais vraiment heureux, il ne faisait que se contenter de petits plaisirs tel que celui qu’il était en train de vivre en ce moment, c'est-à-dire, profiter du confort d’un lit chaud et douillet. Chose qui ne lui arrivait pas si souvent en vérité puisqu’il avait de plus en plus de mal à se procurer des clefs discrètement. Les gens étaient de plus en plus méfiants à dire vrai et ce n’était pas rare qu’il soit bredouille. Alors maintenant qu’il avait accès à un lit, il comptait bien en profiter un maximum. Doucement, il commença à s’endormir avant de se redresser en sursaut. Une clef tournant dans la serrure. Ce type ne vivait donc pas seul et la personne qui partageait sa vie était en train d’entrer. Paniqué soudain, il rassembla ses affaires rapidement et son sac sur le dos, sortit par la fenêtre sans prendre le temps de regarder derrière lui. Plutôt prudent, il se faisait rarement prendre par les propriétaires de ses squats, mais là, ça avait été moins une en vérité. Accroché à la gouttière, il eut un profond soupir en entendant les voix juste au dessus de lui ! Tu vois, tes clefs sont là! Mais je te promets que je les avais prise ! Un éclat de rire et puis ils s’éloignèrent de la fenêtre où il était. Oui, cette fois, il avait bien failli se faire avoir. Poussant un soupir de soulagement, il se laissa glisser le long de la gouttière et arriva en pleine rue, sous la pluie battante. Super ! Maintenant qu’il était de retour dans la rue, il allait devoir aller travailler et avec cette pluie, il allait encore attraper froid. Pourtant, il se rendit sans discuter à la base de son mac et déposa son sac dans son casier avant de s’habiller de façon provocante, mais pas trop. C’était l’envie qu’il devait exciter, pas le dégoût.

Sans perdre de temps, il se rendit dans la rue ou la pluie fit rapidement détremper ses cheveux, qui vinrent se plaquer dans son cou et sur son front, augmentant son impression de fragilité. Bientôt, ses lèvres devinrent bleuâtre de froid et il se prit à espérer un client rapidement. Un client riche, qui lui paierait une chambre. Parce que là, il se sentait vraiment frigorifié et il avait l’impression qu’il allait mourir de froid sous peu. Frissonnant, il vit un grand homme, fort et beau, s’approcher de lui. Il le jaugea une seconde, avant de finalement lâcher le fatidique : Combien ? Les lèvres du jeune homme esquissèrent un sourire et c’est d’une voix suave et de son accent russe qu’il lâcha : 30 dollars la passe ! 20 seulement pour pipe ! Sans perdre de temps, il s’était approché du client, qui eut une dernière hésitation, avant d’attraper sa nuque et de l’emmener dans la petite rue derrière. Au temps pour la chambre… Une pression sur sa nuque, plus importante et il comprit. Doucement, il se mit à genou et commença son office, en s’appliquant le plus possible pour aller vite. D’ailleurs ce fût rapide, très rapide et l’homme s’en alla tout de suite après, non sans lui tendre son billet facilement acquis. Avec un sourire aux lèvres, le jeune brun s’essuya les lèvres et finalement revint dans la rue, toujours aussi frigorifié et toujours aussi sûr d’attraper la mort en restant dans le froid et sous la pluie toute la nuit. Plusieurs clients se succédèrent finalement, homme et femmes, mais il n’eut pas l’occasion d’aller dans une chambre, si bien que ses doigts étaient glacés, son nez commençait à couler et ses vêtements lui collait désagréablement à la peau. Une nuit de merde, à ne pas en douter. Après un client plutôt rude, des bleus commencèrent à se forcer sur ses hanches, ses bras et ses fesses, mais il se força à remettre son pantalon correctement et à revenir dans la rue.

Il était tard, très tard et il allait peut être pouvoir terminer bientôt. Doucement, ses yeux se posèrent sur un bleu, sur son poignet, et il ne vit donc pas arriver la belle demoiselle par la gauche. Le résultat fût plutôt attendu, ils se rentrèrent dedans simplement et dans la lune, il n’arriva même pas à se retenir de tomber. Ses fesses rencontrant le sol lui arrachèrent un long gémissement de douleur, autant du à la chute, qu’à ses bleus et au dernier… assaut. Pardon ! Je suis désolé ! Il avait parlé en anglais bien sûr, mais son accent était facilement reconnaissable, surtout qu’il enchaîna sur une suite de jurons bien russes. Avec un peu de mal, il se redressa finalement. Tu n’as pas mal ? J’ai pas vu ! Un léger sourire se dessina sur ses lèvres, comme pour se montrer plus avenant qu’il ne l’était réellement.

Penchée sur un microscope, Feodora faisait preuve d'une concentration sans faille, n'entendant même pas un de ses partenaires qui débitait un flot de paroles ininterrompu qui l'ennuyait profondément. Depuis qu'il avait posé les yeux sur elle, il s'était mis en tête de l'impressionner sauf que la seule chose qu'elle trouvait remarque chez lui était son entêtement frôlant la bêtise pure et simple. Parfois, souvent même, elle regrettait sa Russie natale où il lui aurait suffi de dégainer le couteau qu'elle portait pourtant encore ici à la ceinture, horizontalement, dans son dos, juste sous sa blouse, de le lui plaquer sous la gorge et lui rappeler qui elle était pour qu'il la lâche. Malheureusement les codes n'étaient pas les mêmes ici et elle comptait voler sous les radars autant que possible, ce qui excluait toute forme de violence à l'encontre de qui que ce soit, ce qui était d'ailleurs fort dommage. Heureusement cependant, elle possédait des capacités hors du commun pour ce qui était de se fermer à son entourage quand elle le désirait et parvenait donc à apprécier l'avancée du virus qu'ils avaient mis en incubation la semaine passée, quand elle était arrivée au laboratoire. Il progressait plutôt bien malgré les anticorps qu'ils lui avaient opposé. Intérieurement, la jeune fille eut un sourire satisfait. Elle ne connaissait pas cette souche mais elle pourrait se révéler fortement intéressante. Et si l'autre n'arrêtait pas, elle risquait de lui coller le contenu de la boîte de Pietri en plein visage. Les hommes … Ses pensées s'envolèrent un bref instant vers Dmitri dont les traits se brouillaient de plus en plus dans son esprit, à son grand désarroi, même si cela aidait à aller de l'avant. Ce qui était plus troublant, généralement, c'était quand ceux de Sergeï venait s'y mêler. Elle n'arrivait toujours pas à se faire à la ressemblance entre les deux hommes, elle ne l'avait pas frappée sur la photographie que son père lui avait montrée, mais en direct … et le comptoir entre eux...

Elle claqua de la langue, agacée par ses propres divagations et attrapa le bloc pour prendre des notes. Monsieur l'intello avait dû le prendre pour lui car il se tut soudain, enfouissant ses mains dans ses poches, ce qui était de nature à l'arranger. Jetant ses coups d'oeil réguliers pour dénombrer les souches, reprendre les notes sur les quantités des différents agents qu'ils avaient introduit, elle noircissait la page en cyrillique, traduisant automatiquement en anglais en-dessous, alors que l'autre tentait de nouveau sa chance : Ouah, t'es quand même impressionnante. Mais pourquoi tu n'écris pas qu'en anglais ? Qu'on la retienne ou elle allait lui planter un scalpel dans l'oeil sans délai, il ne méritait que ça. Elle finit de tout consigner avec soin avant de se relever et de se tourner vers lui, son air de parfaite jeune fille innocente sur le visage. Mes notes seraient incomplètes, c'est plus simple de noter tous les détails et de traduire après. Et puis qui sait, ça pourrait peut-être te donner envie d'apprendre le russe. Elle attrapa le bloc avec un sourire, lui effleura le nez avec son stylo avant de quitter la pièce. Bonne nuit, Rick! Sans doute peuplée de rêves d'elle, mais ça c'était son problème, pas le sien. Passant au vestiaire, elle laissa sa blouse pour attraper sa veste, enroulant son écharpe aussi claire que ses yeux soigneusement autour de sa gorge avant de s'aventurer dehors. Il était tard, très tard, elle profitait de ce soir de repos dans son job de serveuse pour faire quelques avancées en recherche. Certaines personnes disaient avoir un emploi du temps de ministre ? Elle étudiait la biochimie, avait décroché un stage d'observation en hôpital, et avait en plus un petit boulot de serveuse. Beaucoup trop ? Pas vraiment. La biochimie entretenait son petit penchant pour les micro bestioles agressives et le bar lui permettait de continuer à prendre la température des milieux louches. Et ramener un peu d'argent pour certains extras. Pas de boulot ce soir, une nuit tranquille … elle se demandait encore comment elle allait la passer. Prendre un truc à manger pas loin de là où elle bossait, elle avait trouvé un chinois à l'allure louche mais qui faisait des nouilles sautées comme personne.

Elle était donc redescendue dans le quartier « qui craint », avait fait l'acquisition d'une barquette de canard laqué, de nems, de nouilles et de perles de coco avec une bière chinoise (pas top, mais cela ferait l'affaire pour le soir) et regagnait l'appartement de Trish' en espérant qu'elle ne travaille pas ce soir pour avoir quelqu'un avec qui partager tout ça quand tout à coup, elle percuta quelqu'un. Déstabilisée, elle manqua de tomber mais se retint au poteau juste à côté. Surprise, elle laissa glisser son regard sur la personne au sol. Pardon ! Je suis désolé ! L'accent russe la fit immédiatement sourire. Il n'y a pas de mal, lui répondit-elle, également en anglais, laissant son accent traîner un peu plus que de raison dans ses mots, un léger rire lui échappant finalement alors qu'il jurait. Elle le regarda se relever, et considéra un moment sa tenue. Prostitué, sans le moindre doute, et … si elle marqua intérieurement un temps d'arrêt, elle n'en montra rien. Non, ce n'était quand même pas ... Tu n’as pas mal ? J’ai pas vu ! Et pourtant. Ce sourire, le même que sur le cliché que son père lui avait montré, lui désignant par là les deux frères, ses deux cibles. Si elle s'était empressée d'entrer en contact avec Sergueï, considérant qu'il serait le plus simple à amener à tomber amoureux d'elle et à vouloir fonder une famille avec elle, elle avait délaissé Kouprian pour l'instant. Comptant s'en faire un ami quand les choses commenceraient à réellement s'engager avec son frère. Non, pas du tout. Elle ne s'était pas raidie, n'avait pas tressailli, elle avait des années d'entraînement pour ça. Elle se contentait de lui sourire avant d'arquer un sourcil et s'avancer vers lui. Et oui, elle était passé en russe le plus naturellement du monde. Et toi ? Tu es tombé, tu ne t'es pas blessé au moins ? La nourriture n'avait souffert aucun dégât et elle le considéra un moment, attendant qu'il la rassure sur son état. Le destin était parfois d'une ironie admirable ...